Chaque mois le CDES vous propose dans Jurisport l’expression d’un point de vue sur un sujet d’actualité du secteur du sport !
Pour ce numéro, retrouvez Jean-Jacques Gouguet, Directeur scientifique des études économiques du CDES Limoges.
Des jeux liberticides ?
Ce n’est pas la première fois que les Jeux olympiques (JO) sont instrumentalisés pour justifier, au nom de leur mise en sécurité, du déploiement de mesures porteuses de lourdes menaces pour les libertés individuelles comme la militarisation de l’espace public ou la généralisation de procédés de surveillance de masse. Les JO de Londres 2012 ont été à l’origine d’une installation sans précédent de caméras de surveillance dans l’espace public ; les JO de Rio 2016 ont connu de véritables opérations militaires de nettoyage urbain dans les favelas ; les JO de Tokyo 2020 ont été l’occasion de promulguer une loi sécurité « anti-conspiration » très controversée. Les JOP Paris 2024 ne font pas exception avec la loi relative aux Jeux olympiques et paralympiques du 19 mai 2023 autorisant à titre expérimental l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) pour analyser en temps réel les images des caméras de vidéosurveillance renommées « caméras augmentées ».
"La question est de savoir si une telle technologie de surveillance est susceptible de dérives liberticides"
JJG
Risque-t-on d’assister à terme à une légalisation de la vidéosurveillance algorithmique et pourquoi pas, comme en Chine, de la reconnaissance faciale. La Commission nationale de l’informatique et des libertés, dans sa position publiée en juillet 2022, relève que « des risques importants pour les libertés individuelles et collectives existent du simple fait de la multiplication, actuelle et anticipée, des dispositifs de vidéo “augmentée” qui pourrait aboutir à un sentiment de surveillance généralisée ». Ceci est justifié par le fait que ces nouvelles technologies d’IA possèdent un potentiel de traitement de données quasiment illimité pouvant donner naissance à toutes sortes de dérives en matière de restrictions de droits humains dans l’espace public. Il faudrait donc garantir l’anonymat dans l’espace public puisqu’il est indispensable à l’exercice des libertés individuelles fondamentales : droit à la vie privée, liberté d’aller et venir, d’expression et de réunion, droit de manifester, liberté de conscience et d’exercice des cultes…
Cette instrumentalisation des JO au service de l’accélération de l’utilisation de l’IA à des fins de surveillance de la population confirme la thèse de l’autonomie de la technique de jacques Ellul et notamment sa deuxième loi du système technicien : tout ce qui a été découvert sera utilisé. C’est à ce niveau que le potentiel de l’IA appliqué à la vidéosurveillance peut inquiéter. N’y aurait-il pas d’autres moyens de garantir la sécurité des JO sans porter atteinte aux libertés individuelles fondamentales ? On pourrait peut-être commencer par limiter le gigantisme des Jeux qui est à l’origine de la multiplication des risques ainsi créés et du coût croissant de leur gestion.