ACTU JURISPRUDENCE | Le conseil d’Etat lève le voile !

par Cynthia Angleraud

 Par une délibération de son assemblée générale du 28 mai 2006, la Fédération française de football (FFF) a modifié l’article 1er de ses statuts pour prévoir notamment l’interdiction du port de tout signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance religieuse à l’occasion de compétitions ou de manifestations organisées par la fédération.


Deux associations et plusieurs joueuses licenciées ont demandé au Conseil d’État d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 31 août 2021 par laquelle le président de la FFF a rejeté leur demande tendant à l’abrogation ou la modification de cette disposition statutaire.
Très attendue, la décision du Conseil d’État rejette la demande des « Hidjabeuses », et ce contre l’avis de son rapporteur public (ce qui est assez rare pour être souligné).
Il est à noter tout d’abord que le Conseil d’État se reconnaît compétent pour trancher le litige, alors qu’il fût un temps où la contestation des statuts d’une fédération sportive délégataire était la chasse gardée du juge judiciaire. Aujourd’hui, la jurisprudence administrative invite à rechercher si les règles édictées par les statuts de la fédération manifestent ou non l’usage de prérogatives de puissance publique dans l’exercice de sa mission de service public. Tel était le cas en l’espèce.


Sur le fond, le Conseil d’État estime logiquement que le principe de neutralité du service public rappelé par les dispositions de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République doit s’appliquer aux agents de la FFF ainsi qu’à toutes les personnes sur lesquelles la fédération exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction.


Une fédération sportive délégataire de service public est ainsi tenue de prendre toutes dispositions pour que ces personnes s’abstiennent, pour garantir la neutralité du service public dont elle est chargée, de toute manifestation de leurs convictions et opinions. Il en va ainsi particulièrement des personnes que la fédération sélectionne dans les équipes de France, mises à sa dispo-sition et soumises à son pouvoir de direction pour le temps des manifestations et compé-titions auxquelles elles participent à ce titre. Quant aux autres licenciés de la fédération, le Conseil d’État indique « qu’une fédéra-tion sportive délégataire dispose du pouvoir réglementaire dans les domaines définis par le code du sport, pour l’organisation et le fonctionnement du service public qui lui a été confié. À ce titre, il lui revient de déterminer les règles de participation aux compétitions et manifestations qu’elle orga-nise ou autorise, parmi lesquelles celles qui permettent, pendant les matchs, d’assurer la sécurité des joueurs et le respect des règles du jeu, comme ce peut être le cas de la régle-mentation des équipements et tenues. Ces règles peuvent légalement avoir pour objet et pour effet de limiter la liberté de ceux des licenciés qui ne sont pas légalement tenus au respect du principe de neutralité du service public, d’exprimer leurs opinions et convictions si cela est nécessaire au bon fonctionnement du service public ou à la protection des droits et libertés d’autrui, et adapté et proportionné à ces objectifs ». Pour les juges du Palais-Royal, la FFF pouvait donc, au titre du principe de neutralité du service public, et plus large-ment au titre de son pouvoir réglementaire autonome qui lui est délégué pour le bon déroulement des compétitions dont elle a la charge, interdire « tout discours ou affichage à caractère politique, idéologique, religieux ou syndical », « tout acte de prosélytisme ou manœuvre de propagande » ainsi que « le port de signe ou tenue manifestant ostensi-blement une appartenance politique, philo-sophique, religieuse ou syndicale ». Concernant cette dernière interdiction, limitée aux temps et lieux des matchs de football, elle apparaît nécessaire pour assurer leur bon déroulement en prévenant notamment tout affrontement ou confron-tation sans lien avec le sport. Le Conseil d’État estime en outre qu’elle est adaptée et proportionnée.


Débat sensible que le juge administratif vient là de trancher au plus haut niveau. Faut-il se féliciter ou, au contraire, déplorer la solution retenue, à chacun d’apprécier. Toujours est-il que le pouvoir des institutions sportives fédérales s’en trouve renforcé. En tout cas, celui des fédérations délégataires. 

 

Franck LAGARDE

[CE, 29 juin 2023, nos 458088, 459547, 463408]

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