ACTU | JURISPRUDENCE : OCCUPATION DU DOMAINE PUBLIC ET PROCÉDURE DE SÉLECTION PRÉALABLE

par Cynthia Angleraud

Par un contrat conclu le 12 janvier 2016, le Sénat a confié l’exploitation de courts de tennis situés dans le jardin du Luxembourg à la Ligue de Paris de tennis, et ce pour une durée de quinze ans. La société Paris Tennis a contesté les conditions de passation de ce contrat et sollicité son annulation.
L’affaire a donné lieu à plusieurs décisions qu’il serait trop long de relater ici. Il sera simplement rappelé que la demande de la société Paris Tennis a été rejetée par la cour administrative d’appel (CAA) de Paris (arrêt du 10 juillet 2019), que ce dernier arrêt a été cassé par le Conseil d’État (arrêt du 10 juillet 2020) et qu’enfin la CAA de Paris, statuant sur renvoi, a de nouveau rejeté la demande de la requérante (arrêt du 27 mai 2021).
L’arrêt du Conseil d’État signalé dans ces colonnes constitue l’ultime volet de ce dossier judiciaire mouvementé. Le Conseil d’État estime que la cour d’appel a commis une erreur de droit en ne recherchant pas si le vice tiré de l’absence de procédure de mise en concurrence avant la signature du contrat litigieux ne justifiait pas qu’elle prononce la résiliation dudit contrat.
Réglant l’affaire au fond, il donne raison à la société requérante au motif que le contrat en cause entrait dans les prévisions de l’article 12 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 (directive dite « services ») et devait, par suite, faire l’objet d’une « procédure de sélection préalable ».
Les juges du Palais-Royal relèvent que ce contrat ne constituait pas une délégation de service public impliquant le respect des règles de publicité et de mise en concurrence propres à ce type de contrat.
Ils considèrent toutefois que l’activité d’exploitation de courts de tennis est une activité de service et non un service d’intérêt général non économique, et que le Sénat, en autorisant l’occupation d’une partie de son domaine public, doit être regardé comme constituant une « autorité compétente » au sens de la directive susvisée. Ils en déduisent que « le titre d’occupation en litige, qui constitue un acte formel relatif à l’accès à une activité de service ou à son exercice, délivré à la suite d’une démarche auprès d’une autorité compétente, constitue une autorisation au sens de la même directive ».
Ils soulignent enfin que l’autorisation en litige est disponible en nombre limité, pour l’application des dispositions de l’article 12 de la directive, dès lors que les biens qui en font l’objet, eu égard à leur localisation, à la faible disponibilité des installations comparables à Paris, ainsi qu’à leur notoriété, sont faiblement substituables pour un prestataire offrant un service de location de courts de tennis et d’enseignement de ce sport dans la région parisienne. En outre, selon eux, la spécificité de la Ligue de Paris de tennis, en tant que délégataire de la Fédération française de tennis n’implique pas qu’elle constitue le seul attributaire possible de ce titre d’occupation du domaine public et, par suite, que l’organisation d’une procédure de sélection s’avérait impossible ou injustifiée.
Il est à noter que la directive no 2006/123/CE a été transposée en France par l’ordonnance n°2017-562 du 19 avril 2017 prise sur le fondement de la loi Sapin II du 9 décembre 2016. L’article L. 2122-1-1 du code général de la propriété des personnes publiques, issu de cette ordonnance, pose en principe que, sauf dispositions législatives contraires, lorsque le titre d’occupation du domaine public permet à son titulaire d’occuper ou d’utiliser le domaine public en vue d’une exploitation économique, l’autorité compétente organise librement une procédure de sélection préalable présentant toutes les garanties d’impartialité et de transparence, et comportant des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester. Ce principe est assorti de plusieurs dérogations prévues aux articles L. 2122-1-2 et L. 2122-1-3 du CGPPP.
Le contrat litigieux ayant été conclu en 2016, ces dispositions n’étaient pas applicables. Le Conseil d’État s’est donc fondé en l’espèce directement sur le droit de l’Union européenne (dir. 2006 et arrêt Promoimpresa de la CJUE du 14 juill. 2006), opérant ainsi un revirement par rapport à sa jurisprudence Jean-Bouin de 20101.

 

Franck Lagarde

[CE 2 déc. 2022, no 455033]

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