ACTU | JURISPRUDENCE : Les fédérations délégataires ne sont pas indépendantes vis-à-vis des pouvoirs publics

par Gallot

Une fédération sportive délégataire peut-elle se voir reconnaître le caractère d’organisation professionnelle d’employeurs représentatives dans une branche professionnelle ? Non, répond le Conseil d’État, au motif notamment qu’une telle fédération n’est pas indépendante à l’égard des pouvoirs publics.

Par un arrêté du 27 décembre 2017, la ministre du Travail a fixé la liste des organisations syndicales reconnues représentatives dans la convention collective du personnel des centres équestres. Ne figurait dans cette liste qu’une seule organisation professionnelle représentative, à savoir le Groupement hippique national (GHN). La Fédération française d’équitation (FFE) qui avait, en vain, demandé à figurer parmi les organisations représentatives d’employeurs reconnues comme représentatives dans le champ de cette convention collective, a sollicité l’annulation dudit arrêté.

Sa requête est rejetée par la cour administrative d’appel de Paris (Paris, 24 avr. 2019, no 18PA02192). La FFE forme alors un pourvoi devant le Conseil d’État. Par la décision signalée, ce dernier annule l’arrêt d’appel pour erreur de droit. Réglant l’affaire au fond, il estime toutefois que la fédération n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêté contesté.

Les juges du Palais-Royal rappellent les dispositions du code du travail relatives aux organisations professionnelles d’employeurs (syndicats d’employeurs, associations d’employeurs), et notamment les articles L. 2151-1 et L. 2152-1 qui fixent les critères de représentativité de ces organisations (respect des valeurs républicaines, indépendance, transparence financière, ancienneté, influence, implantation territoriale équilibrée, audience).

S’attachant au critère de l’indépendance, le Conseil d’État précise que celui-ci est satis- fait par une organisation professionnelle d’employeurs (en l’occurrence une association d’employeurs, la FFE n’étant pas un syndicat professionnel d’employeurs) lorsque les conditions de son organisation, de son financement et de son fonctionne- ment permettent d’assurer effectivement la défense des intérêts professionnels qu’elle entend représenter, notamment dans le cadre de la négociation des conventions et accords collectifs. Ce critère implique, en particulier, une indépendance de l’organisation concernée vis-à-vis des pouvoirs publics.

Or le Conseil d’État considère que ce n’est pas le cas de la FFE, et ce en raison de la délégation que celle-ci a reçu du ministère chargé des Sports en application de l’article L. 131-14 du code du sport pour organiser les compétitions d’équitation sur le territoire national. Ainsi, dixit le Conseil d’État, la FFE étant chargée d’une mission de service public administratif et dotée de prérogatives de puissance publique, elle ne peut être regardée comme indépendante des pouvoirs publics et comme satisfaisant, par suite, au critère de l’indépendance exigé par l’article L. 2151-1 du code du travail pour lui reconnaître le caractère d’organisation professionnelle d’employeurs représentative.

Et le Conseil d’État d’en conclure que la FFE n’est donc pas fondée à soutenir que l’arrêté attaqué est illégal faute de l’avoir incluse dans la liste des organisations professionnelles d’employeurs représentatives dans le champ de la convention collective nationale du personnel des centres équestres.

Cette conclusion peut s’entendre. Il est en effet assez logique de considérer que l’octroi de la délégation à une fédération sportive fait obstacle à ce qu’elle puisse revendiquer une totale indépendance à l’égard de l’État. Ceci étant, on notera que le code du sport pose en principe que les fédérations sportives (simple- ment agréées ou délégataires) « exercent leur activité en toute indépendance » (C. sport, art. L. 131-1). Force est de constater que les hauts magistrats n’ont pas pris en compte cette disposition dans leur analyse.

Par ailleurs, et surtout, le constat de l’absence d’indépendance des fédérations sportives délégataires vis-à-vis des pouvoirs publics et plus spécialement de l’État pour- rait « faire jurisprudence » à l’occasion d’autres types de contentieux. On pense notamment à la qualification de pouvoir adjudicateur au sens de l’article L. 1211-1 du code de la commande publique, d’où il en résulterait l’assujettissement de ces mêmes fédérations délégataires aux règles des marchés publics…

FRANCK LAGARDE

[CE 22 nov. 2021, n° 431927]

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