L’application du régime de la responsabilité civile extracontractuelle du fait des choses dans le domaine du sport a déjà fait couler beaucoup d’encre et la source n’est pas près de se tarir. Rappelons que ce régime de responsabilité puise son fondement dans l’article 1242 alinéa 1er du code civil (anc. art. 1384 al. 1er) et que sa particularité est de faire peser sur le gardien d’une chose une responsabilité de plein droit (sans faute).
Les sports « à matériel » offrent un terreau fertile pour sa mise en œuvre, d’autant que, depuis un arrêt de principe de la Cour de cassation de 20101, le gardien de la chose ne peut plus opposer à la victime son acceptation des risques du sport en cause, et ce même si le dommage est survenu au cours d’une compétition. On pense en particulier aux sports mécaniques, aux sports de raquettes, ou encore aux sports de balles…
De prime abord, un sport comme le football peut sembler à l’abri de ce régime, les dommages (corporels) qui en résultent étant le plus souvent causés directement par les joueurs eux-mêmes, à l’occasion notamment de tacles un peu trop « appuyés ». Pourtant, à bien y regarder, il n’est pas rare que les tribunaux soient saisis d’action en réparation portant sur des dommages causés par le ballon à la suite de frappes malencontreuses.
L’affaire signalée en propose une illustration, étant précisé qu’en l’espèce la victime n’était pas un joueur mais… l’arbitre de la rencontre. Ce dernier, qui arbitrait un match de championnat amateur, a été blessé après avoir reçu le ballon en pleine figure. Le tribunal de grande instance de Brest, saisi par la victime d’une demande d’expertise médicale et de provisions à valoir sur son préjudice définitif, ainsi que la cour d’appel de Rennes a retenu la responsabilité du joueur auteur du tir en tant que gardien du ballon.
Sans surprise la cour d’appel écarte la théorie de l’acceptation des risques et précise que l’article L. 321-3-1 du code du sport exclut du champ de l’indemnisation seulement les « dommages matériels », et non les dommages corporels. Sans surprise également, elle considère que l’arbitre n’a commis aucune faute dès lors qu’il devait se trouver au plus près du ballon et qu’il ne pouvait pas l’esquiver en raison de la puissance du tir.
En revanche, on peut s’étonner que l’assureur de responsabilité civile du joueur n’ait pas invoqué la « garde collective » de la chose pour contester le droit à indemnisation de la victime. En effet, dans un arrêt du 13 janvier 2005, publié au Bulletin, la Cour de cassation a jugé « qu’au cours d’un jeu collectif comme le football, qu’il soit amical ou pratiqué dans une compétition officielle, tous les joueurs ont l’usage du ballon mais nul n’en a individuellement le contrôle et la direction ; que l’action qui consiste à taper dans le ballon pour le renvoyer à un autre joueur ou dans le but ne fait pas du joueur qui détient le ballon un très bref instant le gardien de celui-ci ; que le joueur qui a le ballon est contraint de le renvoyer immédiatement ou de subir les attaques de ses adversaires qui tentent de l’empêcher de le contrôler et de le diriger, en sorte qu’il ne dispose que d’un temps de détention très bref pour exercer sur le ballon un pouvoir sans cesse disputé »2. Cette théorie de la garde en commun permet d’écarter l’application du régime de la responsabilité du fait des choses entre les joueurs, lesquels sont considérés comme co-gardiens du ballon.
On ne voit pas ce qui peut faire obstacle à la revendication de cette théorie s’agissant d’un dommage causé par le ballon non pas à un coéquipier ou à un adversaire mais à l’arbitre du jeu. L’impossibilité, dixit la Cour de cassation, de caractériser un pouvoir de garde exclusive du joueur qui frappe le ballon vaut en effet dans un cas comme dans l’autre. À moins de se placer du point de vue de la victime et de considérer alors que l’arbitre ne saurait être regardé comme le co-gardien du ballon dans la mesure où, contrairement aux joueurs, il n’a pas vocation à le disputer. À s’en tenir à cette approche, il en irait ainsi de même pour un dommage causé à un spectateur.
Bref, une énième décision de justice sur le fait de la chose qui laisse quelque peu perplexe…
[Rennes, 8 oct. 2021, n° 18/02457]
1. Civ. 2e, 4 nov. 2010, n° 09-65.947.
2. Civ. 2e, 13 janv. 2005, n° 03-12.884, Girault c/ Niobey.