Une fois n’est pas coutume, c’est un jugement de première instance que nous signalons dans ces colonnes, en l’occurrence celui rendu, le 14 janvier 2022, par le tribunal administratif de Paris dans une affaire opposant l’ancien président de la Fédération française des sports de glace (FFSG), Didier Gailhaguet, au ministère chargé des Sports.
Il est encore dans les mémoires qu’à la suite d’accusations de viols et d’agressions sexuelles portées, en janvier 2020, par une ancienne patineuse à l’encontre de son ancien entraîneur pour des faits qui se seraient produits entre 1990 et 1992, le président alors en exercice de la FFSG avait été contraint à la démission, notamment sous la pression de l’actuelle ministre des Sports.
Estimant que cette dernière avait abusé de son autorité de tutelle, l’intéressé a formé, quelques mois après sa démission, un recours indemnitaire préalable auprès de la ministre, laquelle a expressément rejeté sa demande d’indemnisation.
L’ancien président a par la suite saisi le tribunal administratif de Paris pour voir condamner l’État à lui verser 152 550 euros au titre d’un préjudice matériel et 150 000 euros au titre d’un préjudice moral.
Il estime que la ministre a commis des fautes de nature à engager la responsabilité de l’État. Il invoque ainsi le fait que la ministre aurait méconnu le droit à un procès équitable en le mettant en cause publiquement et nommément dans la presse et en faisant pression sur la fédération avant même la remise des conclusions de la mission confiée à l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche. Par ailleurs, il considère que la ministre a remis en cause l’indépendance de la fédération en menaçant celle-ci du retrait de sa délégation et de l’agrément de l’État pour le contraindre à démissionner, ou encore en s’immisçant dans les compétences statutaires de la fédération.
Le premier argument du requérant est écarté par le tribunal au motif qu’en l’absence de toute procédure disciplinaire engagée à l’encontre de ce dernier, le moyen tiré de la violation de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme est inopérant.
Concernant la menace d’un retrait de la délégation et de l’agrément et l’immixtion de la ministre dans le fonctionnement interne de la fédération, le tribunal reconnaît une faute de la ministre tout en légitimant son pouvoir d’intervention au titre de la tutelle de l’État sur les fédérations.
Il estime qu’en précisant publiquement, en des termes non équivoques, que le retrait de l’agrément ou de la délégation de la fédération était lié au départ du requérant de son poste de président, « la ministre a exercé une pression qui doit être regardée, en l’espèce, comme ayant conduit, de façon décisive, à sa démission ». Et de préciser « qu’eu égard aux conséquences majeures qu’emporte le retrait d’un agrément ou d’une délégation pour une fédération sur le plan financier ainsi que pour l’organisation des compétitions, le conseil fédéral de la fédération a été privé de la possibilité de se prononcer librement sur le maintien ou la révocation de l’intéressé, alors qu’il lui appartenait seul de se prononcer sur ce point ».
L’ancien président obtient donc satis- faction sur le fond. L’indemnisation qui lui est accordée est toutefois symbolique puisque l’État est condamné à seulement 5 000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral.
Ce contentieux – le premier du genre à notre connaissance – témoigne de l’ambiguïté des relations entre l’État et les fédérations sportives. Le jugement rapporté enseigne ainsi que le pouvoir de tutelle de l’État sur les fédérations sportives, organismes de droit privé, découlant de l’agrément et de la délégation doit s’exercer dans le respect de leur indépendance statutaire…
[TA Paris, 14 janv. 2022, no 2008096/6-3]