Chaque mois le CDES vous propose dans Jurisport l’expression d’un point de vue sur un sujet d’actualité du secteur du sport !
Pour ce numéro, retrouvez Jean-Pierre Karaquillo, professeur émérite de l’Université de Limoges.
Que déduire des réactions condamnatoires des acteurs du sport au déclenchement et à l'installation de la guerre en Ukraine ?
Le sport, principalement celui qui fait vibrer les foules et enfièvre leur passion est un théâtre où dans tous les pays les élus politiques en charge du bien-être des citoyens d’une nation – chefs d’État et ministres – cherchent à alimenter leur notoriété. Mais trop peu y sont des acteurs qui pénètrent jusqu’à son cœur, à défaut de connaître les coutumes, les usages des institutions sportives et les codes de vie des sportifs. Faut-il s’en féliciter ou le déplorer ? Cela dépend des circonstances qui seules en décident.
Quoi qu’il en soit, il demeure que les représentants des États démocratiques n’entendent pas se suppléer au mouvement olympique ou fédéral et avoir la mainmise sur les sportifs qui y sont rattachés.
L’autonomie des comités nationaux olympiques et des fédérations sportives nationales, quand bien même elle n’est pas sans limite, est la règle.
Il n’en est, nuisiblement, pas ainsi dans certains pays où les institutions sportives nationales sont inféodées à la volonté de dirigeants politiques autocrates qui, parallèlement, font en sorte que les sportifs biberonnés en vue d’accéder au haut niveau et les sportifs d’élite façonnés à leur frénésie géopolitique obtempèrent à leurs désirs égocentriques expansionnistes. Et ces embrigadements deviennent des tragédies insupportables lorsque se déclenche et s’incruste un cataclysme d’une virulence armée et humaine inouïe tel l’envahissement de l’Ukraine par la Russie.
L’étendue universelle des révulsions, des angoisses et des peurs ne pouvait pas, naturellement, ne pas atteindre les acteurs du sport. Aussi à cet égard, ne faut-il pas sous-estimer les décisions de portée financière et sportive de clubs sportifs, du Comité international olympique, des fédérations sportives internationales et nationales, assorties de répercussions préjudiciables à la Russie. Regrettons, cependant, que quelques-unes d’entre elles n’aient agi qu’après des tergiversations qui prêtent au doute. D’aucuns avanceront sûrement que ces prises de position sont dues, essentiellement, à la poussée planétaire des réprobations politiques et populaires. Sans doute y a-t-il là une part de vérité. Il peut néanmoins être objecté à ces propos abrupts et péremptoires en s’appuyant sur une autre croyance empruntée à l’espoir : à savoir que la défense de l’humanisme, dans laquelle baignent ses engagements et qui s’inscrivent de fait au sommet des principes fondamentaux du mouvement sportif institutionnalisé, imposait une condamnation radicale des agissements russes avérés. Se défausser en évoquant son apolitisme, sa neutralité n’aurait eu, en l’occurrence, aucun sens1.
Comment, également, ne pas être rassuré par les sursauts de sportifs réputés de toutes nationalités y compris de sportifs russes ou russophobes. Pourtant ils n’ignoraient pas les représailles et autres conséquences auxquelles ils se risquaient. Qu’il soit, à ce constat, permis, aussi, de se persuader que leurs postures critiques à l’endroit des initiateurs d’une épouvantable déflagration sont irrésistiblement guidées par des ressentis d’injustice générés par l’élévation des exigences mentales et morales qui sont les leurs dans l’exercice de leur pratique. N’est-il pas évident que n’est pas sportif de haut niveau qui seulement veut.
- D’autant qu’en d’autres temps ou (et) en d’autres lieux, dans des situations guerrières détestables, ses prises de position n’ont été, sous couvert des principes d’apolitisme et de neutralité, ni sans susciter de vives et acerbes contestations ni sans ambiguïtés.