Il y a un peu moins de 10 mois, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) rendait trois arrêts significatifs pour les acteurs du monde sportif professionnel (arrêts du 21 décembre 2023, C-333/21, European Superleague Company ; C-124/21 P, International Skating Union c. Commission ; et C-680/21, Royal Antwerp Football Club).
Ces affaires, chacune à leur manière, dessinaient des limites au pouvoir réglementaire des fédérations sportives et de certaines associations sportives, pouvoir devant s’exercer en conformité avec le droit économique européen dès lors que celui-ci est applicable.
Ce vendredi 4 octobre, un autre arrêt (C-650/22, FIFA), et pas des moindres, est venu s’ajouter à la liste.
De nouveau, certaines règles de la FIFA ont été scrutées par les juges de l’Union européenne afin de déterminer leur compatibilité avec le droit du marché intérieur et le droit de la concurrence. Certes, l’appréciation finale revient toujours à la juridiction nationale ayant saisi la CJUE (ici la Cour d’appel de Mons en Belgique), sur la base des éléments fournis par la CJUE. Toutefois, la position de cette dernière est, pour une fois, sans équivoque : en l’état, c’est un grand non !
À supposer qu’il ait été clôturé un jour, voilà réouvert le débat sur le libéralisme économique européen et la manière dont devrait être prise en compte la « spécificité » du sport, qui peut difficilement être examiné comme une activité économique comme les autres…
Les règles de la FIFA sous examen
Il s’agit de trois séries de règles issues du Règlement du statut et du transfert des joueurs et s’appliquant dans la situation où il est reproché à un joueur professionnel d’avoir rompu son contrat de travail avant son terme et ce, sans « juste cause ».
Selon ces règles :
- le joueur professionnel et le nouveau club qui l’engage à la suite de cette rupture sont solidairement et conjointement responsables du paiement d’une indemnité due à l’ancien club ;
- le nouveau club peut encourir une sanction sportive consistant en une interdiction d’enregistrer des nouveaux joueurs pendant une période déterminée, sauf s’il démontre qu’il n’a pas incité ce joueur à rompre son contrat ;
- en cas de litige entre le joueur et son ancien club, l’association nationale de football dont relève l’ancien club s’oppose à délivrer le certificat international de transfert (CIT) nécessaire à l’enregistrement du joueur auprès du nouveau club (ce joueur ne pouvant donc pas participer à des compétitions pour le nouveau club).
Sur la compatibilité avec le droit du marché intérieur (article 45 TFUE) : c’est non !
Une entrave …
Aucun doute permis, les règles de la FIFA sont de nature à entraver la liberté de circulation des travailleurs que sont les footballeurs professionnels. En effet, ces règles font notamment peser sur les clubs des risques importants sur le plan juridique, financier et sportif qui « sont clairement de nature à les dissuader d’engager de tels joueurs » (§ 92).
De manière classique, de telles règles peuvent néanmoins être acceptées : 1) si elles poursuivent un objectif légitime d’intérêt général et 2) si elles respectent le principe de proportionnalité.
... avec un objectif légitime …
La CJUE rejette en bloc l’argument de la FIFA selon lequel ces règles ont pour objectif de protéger les footballeurs professionnels. Sans même rentrer dans le débat de savoir si la FIFA peut invoquer cet objectif alors qu’il ne relève pas de son objet, les règles en cause ne sont pas susceptibles de contribuer à une telle protection. En revanche, l’objectif consistant à assurer la régularité des compétitions sportives est un objectif d’intérêt général pouvant être poursuivi par des associations sportives et qui « revêt une importance particulière dans le cas du football » (§ 101). Or, pour la Cour, le maintien d’un certain degré de stabilité dans les effectifs des clubs (et donc dans la composition des équipes), à travers notamment une stabilité contractuelle, est bien un des moyens – mais un moyen seulement – permettant de poursuivre cet objectif.
... mais totalement disproportionnée !
Si les règles de la FIFA apparaissent donc justifiées dans leur principe, encore faut-il qu’elles soient proportionnées dans leur contenu. Or, pour la CJUE tel n’est manifestement pas le cas, d’autant plus qu’elles ont vocation à s’appliquer, pour une partie d’entre elles, pendant une période considérable à des joueurs dont la carrière est courte. Parmi les aspects listés par la Cour posant problème – et ils sont nombreux (§ 104-113) – on notera, de manière générale, l’application « quasi-automatique » des règles, le caractère discrétionnaire de certains éléments et l’absence de prise en considération des circonstances propres à chaque cas d’espèce, notamment pour adapter le montant et la durée de la sanction. Il est pourtant nécessaire de tenir compte du contexte factuel dans lequel la rupture de contrat est survenue, du comportement du joueur et de son ancien club ainsi que du rôle, ou de l’absence de rôle, joué par le nouveau club.
Sur la compatibilité avec le droit de la concurrence (article 101, § 1 TFUE) : c’est non aussi !
Une décision d’association d’entreprises interdite…
Après analyse approfondie de la teneur des règles en cause, du contexte économique et juridique dans lequel elles s’insèrent et des buts qu’elles visent à atteindre, la Cour considère que ces règles présentent, par leur nature même, un degré élevé de nocivité à l’égard de la concurrence transfrontalière à laquelle pourraient se livrer les clubs. Pour la CJUE, ces règles prévoient en effet une restriction généralisée, drastique et permanente de la concurrence qu’aucune spécificité du football ne saurait conduire à admettre. Son ton est sans appel : « En définitive, de telles règles, même si elles sont présentées comme visant à prévenir des pratiques de débauchage de joueurs de la part de clubs disposant de moyens financiers plus importants, sont assimilables à une interdiction générale, absolue et permanente du recrutement unilatéral de joueurs déjà engagés, imposée par voie de décision d’une association d’entreprises à l’ensemble des entreprises que sont les clubs de football professionnel et pesant sur l’ensemble des travailleurs que sont ces joueurs. Elles viennent ainsi figer la répartition de ces ressources entre ces clubs, sous réserve de transferts négociés entre ceux-ci. » (§ 146). La CJUE estime que les règles de la FIFA doivent ainsi être considérées comme ayant pour objet de restreindre, voire d’empêcher, la concurrence et donc comme des décisions d’association d’entreprises interdites.
... et a priori sans exemption possible
De telles règles ne peuvent alors bénéficier d’une exemption au regard du droit de la concurrence que s’il est démontré que quatre conditions sont remplies : 1) elles permettent de réaliser des « gains d’efficacité » ; 2) une partie équitable du profit qui résulte de ces gains d’efficacité doit être réservée aux utilisateurs ; 3) elles ne doivent pas imposer aux « entreprises » participantes des restrictions qui ne sont pas indispensables pour réaliser de tels gains d’efficacité ; 4) elles ne doivent pas donner aux « entreprises » participantes la possibilité d’éliminer toute concurrence effective.
Or, la CJUE précise déjà que la troisième condition, celle du caractère indispensable ou nécessaire des règles pour permettre de réaliser des gains d’efficacité (à supposer ceux-ci établis), n’apparaît pas remplie.
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