Actu – Jurisprudence | Sports d’eau vive et environnement : le juge tranche en faveur du second

par Cynthia Angleraud

Au sortir d’une sécheresse sans précédent invitant plus que jamais à une prise de conscience quant au défi majeur de la ressource en eau, la question se pose, dans ce contexte, de l’avenir des sports et loisirs d’eau vive. Ces activités, à les supposer demain encore possibles, particulièrement en période estivale, ne risquent-elles pas d’être relayées au second plan par rapport à d’autres usages de l’eau jugés prioritaires (approvisionnement des populations, agriculture, protection de l’environnement, etc.) ? L’affaire signalée témoigne d’une lutte qui s’annonce inégale.


Le 2 novembre 2015, le préfet de la Nièvre prenait un arrêté portant règlement particulier de police de la navigation de plaisance et des activités sportives et touristiques sur une portion de la rivière Chalaux entre le barrage de Chaumeçon et la limite amont du barrage réservoir de Crescent. L’entreprise Angie « Le feu de l’eau », le comité régional de canoë-kayak de Bourgogne, le syndicat national des guides professionnels des activités de canoë-kayak et disciplines associées et la Fédération française de canoë-kayak ont demandé au tribunal administratif de Dijon d’annuler plusieurs dispositions de cet arrêté interdisant la pratique des sports d’eau vive durant certaines périodes de l’année. Sans succès puisque leur demande a été rejetée par le tribunal (jugement du 31 mai 2018, no 1600228), puis par la cour administrative d’appel de Lyon (arrêt du 11 févr. 2021, no 18LY03146), et en dernier lieu par le Conseil d’État. Dans son arrêt, ce dernier rappelle les fondements du pouvoir de police spéciale du préfet en matière de navigation sur les cours d’eau. L’article L. 4241-2 du code des transports donne ainsi compétence au préfet pour compléter le règlement général de police de la navigation intérieure par des règlements particuliers de police, lesquels permettent d’apporter aux règles générales des adaptations
rendues nécessaires par des circonstances locales, notamment en raison des caractéristiques des cours d’eau concernés.
En outre, le préfet dispose, en vertu de l’article L. 214-12 du code de l’environnement, du pouvoir de réglementer sur des cours d’eau ou parties de cours d’eau non domaniaux la circulation des engins nautiques de loisir non motorisés ou la pratique du tourisme, des loisirs et des sports nautiques afin d’assurer la protection des principes mentionnés au II de l’article L. 211-1 de ce même code, notamment la satisfaction ou la conciliation, lors des différents usages ou activités, des exigences de la vie biologique du milieu récepteur, et spécialement de la faune piscicole et conchylicole, et de celles des loisirs et des sports nautiques.


Au cas présent, le Conseil d’État considère que les juges d’appel n’ont commis ni erreur de droit ni erreur d’appréciation en retenant que l’arrêté préfectoral litigieux était justifié par des circonstances locales. Il ressort en effet des pièces du dossier qu’en dehors de lâchers d’eau opérés à certaines heures (de 5 à 9 heures et de 17 à 19 heures), le niveau d’eau de la rivière ne permettait pas la pratique de la navigation sans risque de raclage ou de contact avec la partie sommitale du dôme des frayères de la truite Fario, espèce protégée. Le préfet était donc fondé à interdire la navigation entre le 1er décembre et le 15 mars. La cour d’appel a, par ailleurs, estimé à bon droit que l’objectif de conciliation des usages résultant des dispositions mentionnées au II de l’article L. 211-1 du code de l’environnement pouvait, eu égard à l’affluence des pêcheurs pendant les périodes en cause, justifier l’interdiction de navigation pendant les week-ends d’ouverture et de fermeture de la pêche.


Enjeux de protection de l’environnement, sécheresse, limitation des lâchers d’eau par EDF, usages concurrents, etc. L’avenir ne s’annonce pas des plus roses pour la filière des sports et loisirs d’eau vive. Cet été déjà, beaucoup de ces activités n’ont pas pu être proposées au public, spécialement dans le sud-est de la France, entraînant de sérieuses difficultés économiques pour les organisations concernées…

Franck LAGARDE

[CE 10 oct. 2022, no 451555]

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