Pour un sportif, qu’il soit un jeune en devenir ou un athlète dont la carrière a déjà bien débuté, la poursuite de son activité au plus haut niveau est toujours incertaine. Dans toutes les disciplines, la concurrence est très importante et le risque d’une blessure omniprésent. C’est une réalité difficile à appréhender pour le juge saisi de demandes d’indemnisation du dommage corporel subi par des sportifs dont l’incapacité permanente consécutive à un accident éteint toute perspective de briller au plus haut niveau. Les rêves brisés sont-ils indemnisables ? Comment chiffrer l’incidence de performances sportives simplement hypothétiques au moment de l’accident, mais dont la réalisation aurait permis à l’intéressé de tutoyer les sommets ? L’arrêt de la deuxième chambre civile du 25 mai 2022, publié au Bulletin, illustre ces difficultés, autant qu’il contribue à apporter certains éclaircissements. Un athlète professionnel renversé par une moto, dont le conducteur n’a pas été identifié, saisit la CIVI d’une demande d’indemnisation, notamment, de son « préjudice exceptionnel de renonciation à un “métier passion” » et de la « perte de chance d’être sélectionné et de participer aux Jeux olympiques ». Au contraire du second, le premier poste de préjudice n’est pas considéré comme indemnisable. Le recours à la qualification de « préjudice exceptionnel » ne justifie pas toutes les entorses à la catégorisation traditionnelle des postes de préjudice. En revanche, la notion de perte de chance permet d’intégrer, au sein des préjudices indemnisables, l’aléa inhérent à toute carrière sportive.
Les préjudices sportifs exceptionnels indemnisables
Le recours à la notion de « préjudice exceptionnel » par la victime de dommage corporel est courant afin d’échapper à la rigueur de la catégorisation des préjudices issue de la nomenclature Dintilhac. Tantôt il s’agit de chercher à obtenir davantage d’indemnisation au titre d’un préjudice déjà appréhendé dans un autre poste ; tantôt il s’agit réellement d’un préjudice aucunement couvert par les catégories existantes.
À ce titre, le préjudice exceptionnel résultant « de la renonciation à exercer un “métier passion” » présente un caractère patrimonial. Pour la Cour, il est déjà réparé au titre des pertes de gains professionnels et de l’incidence professionnelle. Dans sa dimension extra-patrimoniale, il est considéré « que la réparation du retentissement psychologique et psychiatrique de l’abandon forcé de sa carrière sportive est assurée au travers de l’indemnisation du déficit permanent ». Les efforts faits par la victime pour démontrer l’existence d’un « préjudice exceptionnel atypique » n’ont pas convaincu.
En revanche, à l’appui de sa cassation, la Cour considère que le « préjudice exceptionnel lié à la perte de chance d’être sélectionné et participer aux Jeux olympiques » ouvre droit à réparation. Pour cela, la perte de chance n’a pas nécessairement à être « sérieuse », mais simplement éventuelle. Énoncée à propos des Jeux olympiques, la solution interpelle quant à son champ d’application. Trouve-t-elle à s’appliquer seulement pour cette compétition (comment le justifier ?) ou également pour d’autres évènements sportifs d’importance ? Comment fixer ceux susceptibles d’ouvrir droit à indemnisation et les autres ?
La quantification de préjudices sportifs aléatoires
Le préjudice est indemnisable au titre de la perte de chance, ce qui invite à s’interroger sur ses modalités d’évaluation. Afin de dénier toute indemnisation, la cour d’appel avait relevé que l’intéressé ne fournissait aucune explication permettant de penser qu’il aurait pu avoir une progression l’amenant jusqu’aux Jeux olympiques. Le raisonnement est censuré, au motif que la chance perdue n’a pas nécessairement à être sérieuse. Soit, mais comment apprécier l’existence d’une chance, même infime, si ce n’est en s’intéressant à l’évolution des performances sportives de l’intéressé et aux projections raisonnablement envisageables ? Il incombe en effet à la victime de démontrer la crédibilité de ses chances de qualification olympique, tant pour établir le préjudice, que pour le chiffrer. La solution prônée par la Cour est manifestement délicate à mettre en œuvre.
Xavier Auméran
[Civ. 2e, 25 mai 2022, no 20-16.351]