Chaque mois le CDES vous propose dans Jurisport l’expression d’un point de vue sur un sujet d’actualité du secteur du sport !
Pour ce numéro, retrouvez Jean-Christophe Breillat, avocat au Centre de Droit et d’Économie du Sport.
Paternité et calendrier sportif
Les difficultés – réelles – rencontrées par les sportives de haut niveau et/ou professionnelles lorsqu’elles deviennent mères ont été récemment mises en avant par les déboires de Chloé Bulleux, handballeuse professionnelle à Toulon dont le contrat n’avait pas été renouvelé en raison, selon elle, de sa maternité. Le ministère des Sports a, de son côté, publié en 2021 un guide pratique Sport de haut niveau et maternité, c’est possible !¹, auquel le Centre de droit et d’économie du sport est fier d’avoir contribué.
Mais un sujet connexe pourrait bien poser des problèmes juridiques réels concernant les sportifs professionnels conjoints de mères de famille : le congé de naissance et le congé de paternité.
Imagine-t-on, dans un futur, espérons-le, pas si lointain, que Kylian Mbappé doive renoncer à disputer la première finale de Ligue des champions du PSG car, cinq jours plus tôt, il vient de connaître le bonheur suprême, celui de devenir père ? Ou que Julian Alaphilippe, revêtu du maillot jaune de leader du Tour de France, soit obligé de mettre pied à terre à deux jours des Champs-Élysées, abandonnant ainsi tout espoir de succéder à Bernard Hinault au palmarès et dans le cœur des Français, pour la seule raison que sa compagne vient de donner la vie ?
D’un point de vue strictement juridique, le droit du travail conduit probablement à répondre par l’affirmative à ces questions. En effet, il pose avec force qu’il est interdit d’employer le salarié pendant le congé de naissance (3 jours suivant celle-ci) et pendant la période obligatoire du congé de paternité et d’accueil de l’enfant (4 jours suivant le congé de naissance)².
Depuis la dernière modification du dispositif le 1er juillet 2021, c’est donc durant une période incompressible de 7 jours que le salarié³ a l’interdiction de travailler, quand bien même il serait volontaire pour le faire. Ces dispositions sont d’ordre public, de sorte que ni la volonté des parties ni même celle de la branche au travers d’un accord conventionnel ne peuvent y faire obstacle.
Outre les conséquences de droit commun (dommages et intérêts pour le salarié, sanctions pénales pour l’employeur, inapplicabilité de la législation sur les accidents du travail en cas d’accident « du travail » pendant cette période protégée…), on imagine aisément les prolongements potentiels sur le terrain sportif par le biais de réclamations à l’encontre d’un club qui aurait aligné un joueur professionnel dont le contrat de travail se trouve alors suspendu.
C’est pour se prémunir d’un tel risque que le CSP Limoges a préféré ne pas aligner son pivot cubain Grismay Paumier, lors de sa série de play-offs de Betclic Elite face à Dijon il y a quelques semaines… série perdue sur le terrain à défaut de tapis vert…
En mettant en place ce qui est présenté comme un progrès social, le législateur n’avait certainement pas en tête les contingences des calendriers sportifs !
Que les fans d’Hugo Gaston se rassurent néanmoins, en tant que tennisman professionnel – et de ce fait non-salarié – il n’est pas concerné par le dispositif et n’aura donc pas à « craindre » une éventuelle paternité au moment de succéder à Yannick Noah en finale d’un prochain Roland-Garros.
- https://bit.ly/3mjskOy.
- C. trav., art. L. 1225-35, L. 1235-1 et L. 3142-1. Le congé de paternité est d’une durée totale de 25 jours (32 en cas de naissance multiple).
- Sont concernés le père, le ou la conjoint(e) ou concubin(e) de la mère de l’enfant ou la personne pacsée avec celle-ci.