ACTU | JURISPRUDENCE : Nullité du licenciement d’un salarié “lanceur d’alerte”

par Gallot

On sait que les litiges liés à l’exécution ou à la rupture du contrat de travail sont nombreux dans le secteur du sport, et en particulier dans le secteur du sport professionnel. Le plus souvent, ces litiges concernent les relations entre les clubs sportifs et les joueurs ou entraîneurs, mais ils peuvent aussi concerner les relations entre ces mêmes clubs et leurs personnels administratifs. La décision relatée dans ces colonnes en est une illustration. Voici les faits.

Mme X. a été embauchée en février 2015 par un club de rugby en qualité de directrice des services selon un contrat de travail à durée indéterminée. À peine trois ans plus tard, elle fut licenciée pour avoir, aux dires de l’employeur, abusé de sa liberté d’expression. Il faut dire que la salariée, en tant que cadre de direction, avait alerté le président du club à deux reprises sur un certain nombre de faits qu’elle considérait comme anormaux dans le fonctionnement du club. MmeX. a contesté ce licenciement, estimant que celui-ci était nul en application des articles L. 1132-3-3 et L. 1132-4 du code du travail, combinés aux articles 6 à 8 de la loi no 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite loi Sapin II). 

Déboutée en première instance par le conseil de prud’hommes, elle a obtenu gain de cause devant la cour d’appel. Cette dernière a jugé en effet qu’en vertu des textes susvisés, la salariée était fondée à dénoncer les faits qu’elle a relatés et que, de son côté, le club employeur ne rapportait pas la preuve que sa décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration de l’intéressée. En d’autres termes, la cour a considéré que le licenciement reposait en l’espèce sur le « signalement d’une alerte » effectuée conformément aux articles 6 à 8 de la loi du 9 décembre 2016, et donc que ce licenciement était nul.

Cette affaire est l’occasion de rappeler que le droit du travail protège aujourd’hui les salariés « lanceurs d’alerte ». L’article L. 1132-3-3 du code du travail prévoit ainsi qu’aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat :

  • Pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions;
  • Pour avoir signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi no 2016-1691 du 9 décembre 2016. Ces dispositions précisent que le lanceur d’alerte révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, notamment, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste de la loi, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général. Le signalement de l’alerte est porté à la connaissance de l’employeur ou du supérieur hiérarchique.

L’article L.1132-3-3 du code du travail précise par ailleurs les «règles du jeu» applicables en cas de litige. Il y est mentionné que si le salarié présente des éléments de faits qui permettent de présumer qu’il a relaté ou témoigné de bonne foi (la bonne foi étant toujours présumée) de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime, ou qu’il a signalé une alerte dans le respect des dispositions susvisées de la loi du 9décembre 2016, il incombe alors à l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l’intéressé…

Au cas présent, les éléments apportés par le club, à savoir une violation par la salariée de son engagement de neutralité et le dénigrement des décisions prises par le président, n’ont pas été jugés suffisamment probants. À noter encore que la loi Sapin II oblige les entreprises de plus de 50 salariés à mettre en place une procédure de recueil des signalements à l’attention des membres de leur personnel ou des collaborateurs extérieurs et occasionnels qui souhaitent procéder à une alerte éthique. Les modalités de cette procédure sont précisées par le décret no 2017- 564 du 19 avril 2017 relatif aux procédures de recueil des signalements émis par les lanceurs d’alerte au sein des personnes morales de droit public ou de droit privé ou des administrations de l’État.

 

Franck LAGARDE

[Pau, 28 janvier 2021, n°19/03322]

A lire également

Le CDES utilise des données non sensibles comme des cookies ou des identifiants électroniques pour mesurer le nombre de visiteurs ou encore adapter le contenu. J'accepte En savoir plus